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Une semaine magique, un an de rêve

Ça y est l’équipage impatient s’est retrouvé au complet au « Gorille », le café des voileux, après avoir déposé son sac sur le bateau. Demain c’est du sérieux… Après un an d’attente, sur une épreuve cool en Corse, il va affronter plus d’une centaine de bateaux modernes et classiques durant la semaine des « Voiles de Saint Tropez. »

Pour rien au monde, la bande ne raterait ce challenge de régate à bord d’un voilier de 54 pieds ; comme en amour, chacun a envie de revivre ces moments d’échanges, de respect, d’admiration, de désir et de générosité. L’adrénaline et l’inconnu liant le tout.

Dans le contexte actuel difficile, l’occasion de resserrer le groupe avec des novices est une aubaine.




Qu’est-ce qui pousse Antoine, 61 ans, notre numéro 1 à faire l’acrobate à l’avant du bateau sur un pont glissant ? La concentration de Stéphan, le tacticien ? L’acuité de Maxence, le régleur ? Les yeux confiant de Julien le barreur ? Le tempérament de gagne du noyau dur ? Mais aussi Catherine, Louis, Maël, Lafleur, et Gérard, nos nouvelles recrues, aguerries ou novices « qui sentent un peu le stress… »

Ceux qui ont vécu l’expérience de l’année passée sont soudés comme jamais pendant l’épreuve et dans leur aventure professionnelle commune.

Ça démarre par : c’est quoi la météo pour demain ? Quels sont les bateaux inscrits dans notre classe ? Tout le monde a son matos ? Les rôles sont définis et acceptés de chacun. Les IC (instructions de courses) donnent 22 parcours possibles, que l’organisation dévoilera au dernier moment sur la semaine. Anticipation ok, mais avec improvisation en fonction des conditions météo. Après quelques bières, chacun s’endort déjà aux aguets, attendant de jouer sur les régates à venir.

Jour J, une heure avant le départ, toujours la même question, départ bâbord ou tribord ? Les points des bouées ont été rentrés sur l’Ipad pour anticiper les routes possibles, entre les vents, la mer Ça discute, le capitaine tranche. Ce premier choix est essentiel. Nous tirons des bords sur la ligne, VHF en veille. Ressentir le vent, scruter les autres ; les étudier sous spi, foc, génois…

Calculs et stratégie s’imaginent sur chaque bateau


Pour le spectacle, des départs groupés se donnent pour les flammes blanches, jaunes et vertes, chacun dans sa classe.

5 minutes d’avertissement… puis 2 min… Le chrono de Julien donne le décompte. Coup de corne de brune, c’est parti. Les départs sont toujours chauds, bateaux resserrés sur la ligne, ça bouchonne à la bouée, on trouve le trou. Tribord était la bonne option. Prendre le cap 110 au plus près, en laissant juste ce qu’il faut d’eau aux copains…



Premier bord au près, nous sommes bien. Le vent est établi. Regard à 360° pour surveiller ceux qui sont devant, et les suiveurs qui ont foiré leur départ.

Nous choquons, bordons, ou reprenons du pataras ou du hale-bas de bôme… On cherche les risées…Chacun prend son rôle, et apprivoise ses équipiers et leurs réglages. Nous filons à 9 nœuds en confiance les uns avec les autres.

Après le passage de la Moutte, les conditions changent. Le vent monte à 20 nœuds. Nous visons déjà la seconde bouée. Faut-il l’enrouler par tribord ou bâbord ? Check dans les IC. Virement parfait, la cohésion de l’équipe est réelle.

Sur le bord suivant, la vitesse est privilégiée au cap, on a misé sur l’abandon de quelques degrés. La pression est sur le barreur, tous les équipiers au rappel. Le prochain bord sera au portant limite vent arrière. Code 0 ou spi ? Chacun commente et a son avis, le tacticien tranche pour le code 0.

Mauvaise opération à la bouée, nous nous sommes laissés impressionner par un concurrent qui a hurlé « tribord. » Je reste persuadée que ça passait… Pas le capitaine, c’est son bateau !

On roule le génois, on envoie le code 0. L’allure nous permet de mettre les voiles en ciseaux, et de remonter sur l’imposteur de la bouée.



Une longue traversée de la baie…pas le moment de se relâcher. La houle de la veille ne facilite pas le travail du barreur. Un écart pourrait anéantir l’équilibre des deux voiles. L’arbitrage bénéfice-risque est constant. Un empannage incontrôlé serait périlleux pour l’équipage et le gréement.

Les affamés devront attendre, un sandwich de trop au mauvais moment, nous a fait perdre deux places sur l’édition précédente !

En mer, on ne discute ni les ordres, ni les règles, c’est après au port autour d’un verre que l’on commente, et refait la manche…



Zoom sur le travail du bord, la coordination est primordiale. Le barreur ne lâche rien, le n° 1 surveille l’avant, les hommes en veille à la gite. Une équipière tangonne* pour maintenir le code 0. Chaque poste est stratégique pour le groupe.

La tension monte, la ligne approche. Coup de corne de brume. On n’est pas premier, mais on a le sentiment d’avoir gagné ensemble.

Retour à quai, rinçage, il faut que ça brille… Le capitaine frotte comme les autres. Vient le debrief autour d’un rosé de Provence bien mérité. Analyse, synthèse et préparation de la stratégie et des hypothèses de choix des voiles du lendemain…

Aujourd’hui pas de casse, mais quelques erreurs analysées sous les volets sportifs, tactiques et humains. En condition de course, la voile, plus que tout autre discipline, révèle les comportements. Les situations extrêmes sont un terrain de jeu propice à l’émergence des individus et la découverte des réactions du groupe.

Dans le monde de la performance et de l’action, le boss a pu faire face à une pression plus importante que d’habitude, douter de la pertinence de sa stratégie ou de ses choix, s’interroger sur son propre leadership vis-à-vis de ses équipes et sur l’efficience de celles-ci.



La compétition oblige à adopter un management fluide et efficace, développer l’écoute, réactiver l’adaptation permanente, aiguiser le sens de l’effort dans le respect des éléments.

Jusque tard, on va refaire le match, on se découvre, on s’envisage chaque jour ensemble plus performant.



Chacun s’endort des étoiles plein les yeux, bercé du privilège de vivre une parenthèse improbable dans le brouillard de la situation actuelle. Car si les turbulences éloignent les Hommes, le rêve les rapproche.

Préparez votre sac, un rêve doit être partagé !

*tangonner : maintenir l’ouverture de la voile avec un tangon, ici en l’occurrence avec un bras !

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