L'amour des autres : de la vie à la mort
Un job pas tout à fait comme les autres.
« Il est 4h du matin, je termine le tour habituel de mes patients du service de médecine polyvalente. Nous sommes deux à surveiller, et prendre soin de 23 malades, et certains sont en fin de vie. Un pressentiment m’incite à retourner voir celui de la chambre 18. Je le vois, sur le côté, et la couleur de son visage m’interpelle. J’essaie de le réveiller, le secoue, il ne réagit pas. J’appelle l’infirmier qui lui prodigue les premiers soins. Le médecin arrive en urgence. Cette nuit-là, nous mettrons 2 heures pour le récupérer… »
Sabine vit en décalé dans le monde hospitalier de la nuit. Elle prend soin de femmes et d’hommes qui ne sont plus autonomes. Une seconde d’inattention souvent a suffi à en faire des victimes d’un accident de la route, de ski, ou de la vie courante.
Elle les accompagne parfois jusqu’au bout, s’occupe des familles avec « une humanité qui ne s’apprend pas dans les livres. ». Elle a une vie professionnelle avec des échanges authentiques, des liens rares, des souvenirs ineffaçables. Une vie extraordinairement dure aussi, car elle soigne les blessures de nos vies, et touche à l’intime… notre mort, et celle de nos proches.
Des responsabilités incroyables, sur les épaules...
Sabine rentre à 7h30, elle croise parfois son homme qui part travailler…
La vocation pour l’amour de l’autre Une dame en fin de vie : Le médecin contacte la famille pour l’avertir de se préparer pour l’inévitable, et pour venir passer leurs derniers instants ensemble. « Nous n’avons pas de consigne particulière pour agir, de manière innée, je passe du temps avec elle, je la caresse, je lui tiens la main, je lui parle, je la rassure, je lui dis que je suis là. »
La vie bouscule les priorités : « Madame J venait régulièrement pour des séjours de répits. Je me prends d’affection pour elle, comme pour tant d’autres. En fin de service, je la quitte, elle n’est pas bien du tout. Je ne travaille pas le lendemain, or j’ai connaissance que sa famille ne pourra venir immédiatement. Je la rejoins au petit matin, car je sais qu’elle n’en n’a plus pour très longtemps. Je passe trois heures auprès d’elle. Elle attendra jusqu’à l’arrivée de son mari, pour son dernier souffle Comment l’humanité et l’adaptabilité compense un contexte difficile ? La polyvalence du service est autant passionnante que complexe. Nous sommes confrontés à des pathologies multiples qui imposent une capacité d’adaptation pour par exemple gérer à la fois de jeunes patients atteints de maladies neurodégénératives, et des personnes âgées en situation de démence. Les années et l’expérience ont forgé une carapace qui permet d’accepter sans juger, de mieux faire baisser la tension… d’écarter tout risque d’accidents... de surmonter les difficultés techniques … et de prendre sur soi lorsqu’il y a de l’agressivité verbales ou physiques, de ces personnes qui ne se maîtrisent plus…
Et si l’authenticité était plus fort que le marketing ?
A l’hôpital on pourrait conjuguer aussi bien le « slow », la « joie au travail » avec les patients… Le « fast et l’agile ». « Le disruptif » n'a rien d'innovant car faire face à l’imprévu, au danger à éviter pour assurer la sécurité des patients et du personnel, fait partie de ses "compétences et talents".
Dans son travail, Sabine n’a pas le temps pour la dialectique. Elle le passe plutôt, avec ses patients dans le coma. Avec tendresse et douceur, elle transmet son énergie, les installe confortablement pour la nuit, les maintient propre, les masse et toujours leur parle. Avec humour, elle leur raconte souvent des anecdotes, des histoires drôles, en attendant le moindre signe : une réaction, un clignement d’œil, une larme…
Au-delà des responsabilités, « pour s’occuper des humains, il faut des humains »
Lorsqu’un patient décède, Sabine suit le protocole de préparation de la personne en attendant la famille. L’équipe soutient, écoute et aide les proches dans les démarches administratives.
Son « message aux générations Y et Z, pour ces jeunes qui vont nous soigner plus tard » « Choisissez ce métier avec passion, et lucidité : sa dureté vous prend plus que votre énergie. » L’activité sur la santé de personnes à risques est tellement prenante physiquement et psychologiquement, qu’il faudra maintenir une vigilance et une patience sans failles pour faire correctement son travail sur la durée.
« Des moments formidables qui nous portent dans notre métier, et donne du sens »
Un tour de garde récemment : je découvre les entrées du jour et préviens que l’équipe de nuit prend le relais. Je m’approche de Madame M, attrape sa main « elle sursaute : « vous êtes un ange, avec votre blondeur, et votre douceur … »
Le personnel soignant se retrouve dans les confidences, les regrets, les secrets de famille. « Des moments d’intimité et de confession de cette mamy qui m'avoue les yeux rieurs, avoir trompé plusieurs fois son mari, heureusement sans que jamais cela ne se sache ! ».
Son message à tous :
Sabine nous enseigne, qu‘elle ne remplacera jamais la famille. Que s’il faut rêver de bien vivre, il faut rêver de bien mourir. Si la maladie et l’hôpital repoussent, la mort fait partie de nos vies. Ce qu’elle dit aux familles : « Sachez qu’il est des moments essentiels à vivre avant que l’autre ne s’en aille. Venez, soyez prêts, n’ayez pas peur de parler. Repoussez vos craintes de la fin, dites les choses, rassurez-les, tenez-leur la main… »
Le rêve de Sabine d’aujourd’hui :
Sabine rêve de grand air. Avoir accompagné et autant donné à de personnes, l’a enrichie et bousculée aussi. Cela a apporté du sens à son existence, des ailes pour profiter de la vie, avec un grand V aujourd’hui.
Elle ne veut plus attendre pour s’acheter un bateau, mettre son homme à la barre, organiser des mini-croisières, et faire partager la beauté de sa région, enfin vivante et libre avec l’horizon pour infini...
By Sandra Blanc Mesnel
On n'a qu'une vie
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